ENTREVUE #1 / INTERVIEW #1
ENTREVUE #1
1987 ZEPPELIN No 2, Spécial Marc PAGEAU, entrevue réalisée par Suzanne PAYETTE, octobre, pages 11 à 19.
Entrevue publiée avec le consentement de l'auteure.
L'INTERVIEW
Voici le moment tant attendu de l'interview ! Messieurs-dames, calez-vous confortablement dans votre fauteuil, écoutez en sourdine un air de votre choix, et retenez votre souffle en lisant le discours sérieux de : MARC PAGEAU
Notre vedette du mois a eu comme modèle, nul autre que MOEBIUS ; grand philosophe ésotérique (HARZAKC, MAJOR FATAL). À son tour le disciple rejoint le maître avec une réflexion médiatique sur la bande dessinée. Silence ! On tourne...
L'INTERVIEW : MARC PAGEAU par Suzanne PAYETTE.
ZEPPELIN : Je sais que tu t'intéresses aux théories concernant la bande dessinée, quelle est ta propre définition ?
MP : Voyons d'abord le PETIT LAROUSSE : « histoire racontée en une série de dessins ». Bon. Mais moi je dirais plutôt que c'est un moyen d'expression faisant appel à la fois au texte et au dessin pour créer autre chose, une impression indéfinissable, une émotion qui n'existe ni dans la peinture, ni dans la littérature, ni au cinéma.
Le problème, c'est que ce quelque chose on ne le retrouve que dans les créations d'un nombre très limité d'auteurs, alors que les autres se contentent de raconter une petite histoire avec une série de dessins.
À ce niveau-là, la définition du LAROUSSE semble correcte.
ZEPPELIN : Qu'est-ce qui t'a amené à réfléchir sur le médium ?
MP : Je veux connaître les mécanismes fondamentaux de la BD pour les comprendre, les digérer, les retraduire à ma façon et les enrichir. Je réfléchis aussi sur tout ce qui touche mon époque, car ça ne m'intéresse pas du tout de refaire le même type de BD qu'on faisait dans les années '50 '60 '70.
ZEPPELIN : Qu'est-ce qui te préoccupe le plus dans la bande dessinée ?
MP : Ce n'est ni le dessin, ni le texte. Paradoxal, non ? Maintenant, je maîtrise relativement bien ces deux composantes techniques et ce qui m'intéresse particulièrement, c'est l'interaction entre les deux, ce quelque chose d'indéfini dont je parlais tout à l'heure.
ZEPPELIN : Que penses-tu de la bande dessinée québécoise ?
MP : Quelle bande dessinée québécoise ?!
Où est-elle ? Existe-t-elle ? La plupart des choses que j'ai vues sont de médiocres succédanés des bandes européennes ou américaines qui sont majoritairement médiocres. C'est avec ça qu'on veut performer sur le marché international ?! Il faudrait que la bande dessinée québécoise arrête de jouer les colonisées et prenne exemple sur le cinéma québécois des dernières années, regardez LE DÉCLIN DE L'EMPIRE AMÉRICAIN, UN ZOO LA NUIT qui sont des oeuvres de qualité et qui performent commercialement sur le marché mondial. Il faut prendre conscience de son identité culturelle et faire avec.
ZEPPELIN : Trouves-tu important le fait de lire des études, des monographies sur des auteurs et leur oeuvre ?
MP : Très. Et des interviews d'auteurs aussi. Parce que le fait de savoir ce que pensent de la bande dessinée TARDI ou SCHUITEN ou n'importe qui (même le plus mauvais) aide, motive et enrichit la réflexion personnelle sur le médium. Je suis un lecteur assidu des CAHIERS DE LA BANDE DESSINÉE. En fait, je lis plus d'articles théoriques que de bandes dessinées proprement dites.
ZEPPELIN : Selon toi, qu'est-ce qui importe dans la lecture d'une bande dessinée ?
MP : Pour le moment, c'est de sentir que l'auteur se serve de la BD comme d'un moyen d'expression à part entière. Malheureusement, ils sont très peu à le faire et c'est pourquoi je lis très peu de BD.
ZEPPELIN : Est-ce que tu te donnes une démarche artistique ?
MP : Oui. Parce que c'est pour moi le seul moyen de s'en sortir comme créateur. J'ai essayé un tas de types de BD et je commence seulement à trouver mon chemin. Cette démarche n'est pas encore écrite sur papier, mais ça se fera d'ici quatre ou cinq ans. J'en profite pour dire que la BD est encore très jeune (à peine un siècle) et qu'elle n'a pas encore atteint son plein potentiel comparativement à la peinture qui existe depuis la préhistoire. Un type de l'envergure de PICASSO n'existe pas en BD, la place est libre pour qui sait la prendre.
ZEPPELIN : Vers quoi orientes-tu ta production ?
MP : Vers une hystérisation du médium dans le but de le faire éclater. À la limite, créer un récit abstrait avec un dessin figuratif. HARZACK (le quatrième récit), était une tentative en ce sens. Il y a aussi CRESPIN et CRÉPAX qui font chacun à leur manière une fragmentation du temps avec des buts différents. Faire des histoires comme prétexte pour dessiner (ça ne m'emballe plus), mais faire des dessins comme prétexte pour raconter (là, ça m'emballe !).
ZEPPELIN : Quels sont tes projets à long terme ?
MP : Pour l'instant, je cherche à créer une série commercialement rentable de façon à m'assurer les revenus nécessaires pour survivre et pour éditer à compte d'auteur mes recherches les plus intéressantes. Peut-être fonder une maison d'édition (on en parle déjà avec Benoît JOLY) car il ne faut pas se faire d'illusions : à part LOTH et MONTOUR qui ont réussi à publier un album en Europe, il n'y a aucun Québécois qui a réussi à s'y imposer.
ZEPPELIN : En terminant, aimerais-tu voir à Québec un regroupement de bédéistes qui échangeraient leurs idées ?
MP : Il existe déjà : Danny GAGNON, Benoît JOLY et moi discutons très souvent et d'une façon assez théorique sur la bande dessinée lors de rencontres amicales non-préméditées. Peut-être existe-t-il d'autres groupes que nous ne connaissons pas. Ce serait bien si nous pouvions échanger avec d'autres pour faire avancer le discours.
J'attends vos RIPOSTES EN RAFALES...
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