ENTREVUE #3 / INTERVIEW #3
ENTREVUE #3
1999 ZINE ZAG No 3, LE PHYLACTÈRE MAUDIT, entrevue réalisée par Michel PLEAU Jr, juillet, pages 22 et 23.
Entrevue publiée avec le consentement de l'auteur.
Cette entrevue a aussi été publiée sur Internet, disponible sur le site BD Québec. Mais comme je sais que vous êtes d'incorrigibles paresseux et que vous n'irez pas la lire sur place, je vous l'offre ici !
Bonne lecture !
LE PHYLACTÈRE MAUDIT
ZINE ZAG : Salut Marc ! Parle-moi de ton goût pour la BD depuis ton enfance jusqu'à tes études au Cégep.
MP : J'ai commencé à dessiner comme tout le monde vers 6-7 ans, et des gens ont remarqué mes petits dessins dans les cahiers bleus de catéchèse avec les trois poissons, tu dois les connaître toi aussi ?
ZINE ZAG : Oui, en effet tu me rappelles des souvenirs, on devait dessiner dans ces cahiers.
MP : À moi aussi, on devait dessiner des scènes de la bible.
C'était mes premiers dessins.
ZINE ZAG : As-tu conservé ces chefs-d'oeuvre ?
MP : Non, hélas ! ou plutôt une chance que non !!!
Après cela, vers 10 ans, j'ai commencé à copier des dessins de « Lucky LUKE » en grand format pour les mettre dans des cadres que j'avais trouvés au chalet de mes parents.
Je faisais ces dessins pour décorer les murs de ma chambre.
ZINE ZAG : Qu'est-ce qui t'a décidé à étudier pour faire une carrière dans le domaine du neuvième art ?
MP : J'ai décidé très tard de faire du dessin mon métier : à 19 ans.
Avant ça, je voulais être pilote de ligne (long courrier), l'aviation ! Dans mon adolescence, j'ai fait partie des cadets de l'air et j'adorais ça comme un fou.
J'ai même obtenu un brevet de pilote de planeurs (16 ans) et un autre de pilote privé pour les monomoteurs (17 ans).
C'est parce que je portais des lunettes que je n'ai pas continué. J'aurais dû investir 25 000 $ dans le privé pour devenir pilote professionnel. Dans ce domaine, le nombre des emplois est très limité et face à un autre pilote qui aurait eu les mêmes compétences que moi, l'employeur aurait choisi celui sans lunettes.
Alors... Dans les cadets, je n'étais que pilote privé (pilote du dimanche !)
et la bourse que j'ai obtenue n'était que de 3 000 $.
Une anecdote : je n'ai eu mon permis de conduire qu'à 18 ans, un an après être devenu pilote ! Je n'avais pas d'argent pour me payer les cours de conduite et j'ai dû travailler pour l'obtenir...
ZINE ZAG : Tu aimais mieux les hauteurs que la terre ferme.
MP : Tu sais maintenant pourquoi je fais de la BD « flyée » !
Après l'aviation qui était foutue pour moi, il ne me restait que le dessin. J'ai donc décidé de me lancer dans la BD. Je ne connaissais que les grands héros populaires, ceux que tout l'monde connaît.
Mais je connaissais aussi le « Lieutenant BLUEBERRY », un choc visuel pour moi !
ZINE ZAG : Lisais-tu seulement du GIRAUD, ou bien tu as aussi découvert MOEBIUS ?
MP : J'ai découvert BLUEBERRY à 13 ans et vers 15 ans , je m'étais mis en tête de raconter les aventures d'un héros se passant dans les années 1755-1760, tout ça dessiné à la façon BLUEBERRY.
Je me suis cassé la gueule, évidemment. C'est beaucoup plus tard que j'ai découvert MOEBIUS. Au début, j'aimais pas trop et puis j'ai découvert dans un petit livre fort intéressant intitulé « DOCTEUR GIR ET MISTER MOEBIUS » que GIRAUD et MOEBIUS étaient la même personne.
ZINE ZAG : Donc, tu as dû étudier au cégep et puis à l'université
pour apprendre le métier, as-tu publié durant ces années ?
MP : Le cégep et l'université, c'était surtout pour faire plaisir à mes parents qui s'inquiètaient que son leur aîné se lance dans la BD ! C'était pour les sécuriser. Ils aurait bien voulu que je devienne prof, ingénieur, médecin ou quelque chose comme ça, comme tous les parents.
Le cégep et l'université m'ont permis de rencontrer une belle gang de malades de BD ! C'est comme ça que j'ai pu me faire des contacts. Il n'y avait pas d'internet dans ce temps-là. J'ai publié beaucoup plus que mes confrères d'études. De m'afficher BD dans mes cours d'arts universitaires m'a même nui énormément auprès des professeurs.
ZINE ZAG : C'est à ce moment que le projet de la S.c.a.B.D. a eu lieu ? Raconte !
MP : C'est Réal BOUCHARD (prof de français BD au Cégep GARNEAU) qui a eu l'idée de faire une exposition de BD. Il croyait ramasser tout au plus 10 personnes à tout casser. Mais il y en a eu 40! C'est à la suite de ça que l'idée de faire un regroupement est née. J'étais dans le tout premier conseil d'administration de la S.c.a.B.D. Sur le premier conseil administratif de la S.c.a.B.D., il y avait :
Réal BOUCHARD, Mira FALARDEAU, André-Philippe CÔTÉ, André GAGNON (GAG), Pierre DRYSDALE, Bernard DUBOIS et moi-même. C'est ça, on était 7 ! C'est d'ailleurs là que Mira et André-Philippe se sont rencontrés pour la première fois et ils se sont mariés depuis. C'est un peu à cause de la S.c.a.B.D. qu'est née une espèce de renaissance de la BD un peu perdue depuis les années 1970. Les projets, ça pleuvait à boire debout, c'était formidable ! Une très belle ambiance, j'ai eu bien du fun à l'époque. À cause des contacts d'André-Philippe, tous les auteurs de BD ont eu une demi-page d'interview chacun dans LE SOLEIL, à tous les mercredis pendant presque un an. C'était merveilleux !
ZINE ZAG : Et est-ce que le nombre de membres a beaucoup augmenté depuis ?
MP : Le nombre de membres de la S.c.a.B.D. a toujours fluctué au cours des années. Les premiers temps, on était une bonne cinquantaine. Ce nombre a grimpé autour de 80-90 juste avant qu'on ait un local, le C.D.A.B.D. Ensuite, on a eu des pointes jusqu'à 250-270 je crois, 1992-93. Après tout ça, le nombre a descendu tranquillement parce que les tous premiers membres se désinteressaient de la S.c.a.B.D., ayant leur carrière bien partie, et les jeunes de la relève n'ont pas voulu s'impliquer autant que les plus vieux.
C'est bien dommage !
ZINE ZAG : Tu veux dire qu'il y avait 250 personnes qui étaient inscrits seulement dans la région de Québec ?
MP : Non, pas tous de Québec, bien sûr ! Il y en avait quelques-uns de Montréal, de Sherbrooke, et même un du Japon ! Ce n'était pas tous des auteurs de BD non plus. Plusieurs amis et lecteurs qui nous appuyaient. Dans le fond, la S.c.a.B.D. est morte d'avoir grandi un peu trop vite. C'était trop difficile à faire fonctionner pour une poignée de bénévoles. C'était devenu trop gros. En tous cas, laisse-moi te dire que les gars de Montréal étaient pas mal jaloux de notre Centre de Documentation et d'Animation en BD (C.D.A.B.D.).
ZINE ZAG : C'est à partir de tout ça que plusieurs projets et collaborations ont enfin vu le jour pour toi ?
MP : J'ai fini mes études universitaires en 1987, mais par contre j'ai vraiment débuté ma carrière BD en 1982 avec OPIUM et j'ai toujours dessiné depuis ce temps-là, je n'ai jamais arrêté. J'ai toujours chercher à publier, même quand ce n'était pas payant. Les offres de collaborations sont venues plus tard, quand les gens se sont aperçus du sérieux de ma résolution à améliorer les qualités de mon travail.
ZINE ZAG : Et SOLARIS ?
MP : Pour SOLARIS, j'en ai été le directeur artistique pendant un an en 1988, mais j'avais déjà dessiné des illustrations et des BD pour eux bien avant. Ils aimaient bien mes dessins. C'est avec cette expérience que je me suis trouvé un emploi pour une petite boîte d'édition électronique PARUTION pendant un an et demi et après je suis parti à mon compte dans le domaine de l'illustration en général (1990). Je fais aussi de la caricature de congrès (très payant, héhéhé...).
ZINE ZAG : Je crois que tu étais de l'équipe aux débuts de SAFARIR ?
MP : Oui ! Au départ de SAFARIR, c'est l'éditeur Sylvain BOLDUC que j'avais connu à l'Université Laval et ensuite à travers la S.c.a.B.D., qui un jour m'a lâché un coup de fil me demandant de réunir des dessinateurs pour une première rencontre avec lui pour qu'il nous explique son projet. J'ai donc appelé GAG, Denis GOULET, Marc FOREST, Benoît JOLY, Jean MORIN, Mario MALOUIN, André-Philippe CÔTÉ, Pierre DRYSDALE, Michel D'AMOURS (LOVE), Jean-François GUAY et d'autres.
ZINE ZAG : Benoît JOLY ! C'est avec lui que tu as conçu ton premier album : JACQUE TIROIR. Il a collaboré en tant que scénariste seulement ?
MP : Benoît JOLY était la coqueluche des dessinateurs de la S.c.a.B.D. à l'époque, c'est-à-dire que tous les autres dessinateurs enviaient son talent de scénariste et de dessinateur. Il était et est toujours extraordinaire !
Je l'ai connu à l'époque du Cégep à Joliette : il était le créateur d'OPIUM. Il aimait bien mon dessin et voulait en quelque sorte confronter son univers avec le mien et ça a donné JACQUE TIROIR ! Une histoire assez pétée, merci ! Je ne sais pas si le résultat en valait la peine, mais cet album n'a jamais laissé de lecteurs indifférents : ou bien ils le détestaient, ou bien ils l'aimaient sans aucune mesure... Jamais d'indifférents !
Bien sûr, il y avait plus de lecteurs qui le détestaient que le contraire. J'aurais dû en faire une suite, mais Benoît s'est toujours objecté à ce projet. Je compte bien le faire changer d'avis un jour !
ZINE ZAG : Tu fais maintenant parti d'un groupe de dessinateur nommé GRAFIK SISMIK, mais avant ce groupe, tu as fait partie de NEXT GEN. Mais en regardant les noms des artistes des 2 groupes, ce sont les mêmes, pourquoi ce changement de nom ?
MP : Parce que NEXT GEN, tout le monde s'appelle comme ça ! Ça a été une mode pendant un temps... Je voyais même des revues qui portaient ce nom ! L'ancien nom n'était plus approprié, c'est tout simple.
ZINE ZAG : Ce groupe est plutôt impliqué dans le style fantastique et comics USA, pourquoi ? Est-ce parce que vous ne voyez pas d'avenir dans la BD au Québec ?
MP : Il est impliqué surtout dans le style Super-Héros. Pour faire une histoire courte, j'avais rencontré Pierre-André DÉRY au Festival de BD de Québec en lui glissant un mot comme quoi je serais peut-être interessé par la BD américaine, parce que je ne voyais pas vraiment d'avenir au Québec. ZEPPELIN s'était cassé la gueule depuis trois ans, je n'avais plus de place où publier mes nombreuses BD...
Que faire ?
Alors, il a sauté sur l'occasion pour m'intégrer à son groupe parce qu'il me connaissait à travers les BD qu'il avait lues de moi. Il les aimait bien en me disant que les américains apprécieraient eux aussi mon style de dessin. Depuis maintenant deux ans, nous allons à Chicago Comicon pour présenter notre travail aux différents éditeurs de comic books. Nous nous proposons d'y retourner cette année.
Nous avons maintenant un local et les contrats commencent à entrer.
ZINE ZAG : À part les projets BD aux États-Unis, en as-tu d'autres ici au Québec ?
MP : Oui, j'ai les GRAVITÉ ZERO qui me tiennent beaucoup à coeur et je compte publier deux albums cet automne (des compilations): RÉFLEXIONS ESTUDIANTINES qui regroupe les bandes qui ont paru à l'Université Laval et l'autre PREMIÈRES OBSESSIONS qui regroupe les BD de S.-F. des années 1980 qui ont principalement paru dans SOLARIS. Tout ça sous le label FLYING SPOON COMICS. J'ai un autre projet avec Gag, à la fois historique et humoristique, j'ai aussi THE RED à encrer et à lettrer et j'ai un projet de lettrage d'album : LA MERCIÈRE ASSASSINÉE de Mira FALARDEAU (note : ce projet ne s'est finalement pas concrétisé).
ZINE ZAG : Y'a t-il un auteur ou des auteurs qui t'inspire dans ta création personnelle ?
MP : Oui, plusieurs et à des niveaux différents, le principal est MOEBIUS et les autres : HERGÉ, JUILLARD, SCHUITEN, TARDI, PRATT, Régis FRANC, BILAL et plusieurs américains dont Erik LARSEN, Greg CAPULLO, Stephen PLATT et McFARLANE.
ZINE ZAG : Et au Québec, as-tu des auteurs favoris ?
MP : Oui ! André-Philippe CÔTÉ quand il fait des oeuvres ambitieuses comme CASTELLO, et VICTOR ET RIVIÈRE (que j'ai toutes deux lettrées). Sans oublier Benoît JOLY, Jean-François BERGERON, Denis GOULET, Christian DAIGLE, Jean-Sébastien DUBERGER (DUB), Éric ALLARD et aussi le talent d'encreur de Pierre-André DÉRY.
ZINE ZAG : Pour finir Marc, crois-tu qu'un auteur de BD québécoise soit vraiment obligé d'exporter son travail à l'extérieur du Québec pour survivre ou bien il a encore des chances ici ?
MP : Oui, on peut vivre de la BD ici au Québec ou plutôt survivre. J'en suis la preuve vivante, mais il faut faire autre chose de connexe comme l'illustration et la caricature qui sont définitivement plus lucratives. Si on ne veut faire qu'exclusivement de la BD, il faut malheureusement aller à l'extérieur, pas le choix ! Surtout pour se faire reconnaître par les « twits » qui ne te prendront jamais au sérieux si tu n'es pas publié par DARGAUD éditeur (ou n'importe lequel des autres) quel que soit ton talent !
ZINE ZAG : Merci Marc et bonne chance dans tes projets !
MP : Merci à toi pour le temps que tu as pris pour cet interview, je trouve ça formidable qu'il y ait des gens assez intéressés à la BD québécoise pour faire ce que tu fais !
J'attends vos RIPOSTES EN RAFALES...
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